Le camp des Alliers

Bref historique du Camp d'Internement des Alliers 1940-1946

LE DECRET DU 6 AVRIL 1940

Le 6 avril 1940 le gouvernement de la 3ème République décrète :

« La circulation des nomades est interdite sur la totalité du territoire. « Les nomades, c'est-à-dire toutes personnes réputées telles dans les conditions prévues à l'article 3 de la loi du 16 juillet 1912*, sont astreints à se présenter sous les quinze jours qui suivent la publication du présent décret, à la brigade de gendarmerie ou au commissariat de police le plus voisin du lieu où ils se trouvent. Il leur sera enjoint de se rendre dans une localité où ils seront tenus à résider sous surveillance de la police. Cette localité sera fixée pour chaque département par arrêté du Préfet ».

Le rapport relatif à ce décret précisait :

« En période de guerre, la circulation des nomades, individus errant généralement sans domicile, ni patrie, ni profession effective, constitue, pour la défense nationale et la sauvegarde du secret, un danger qui doit être écarté ».

C'est ainsi que furent regroupés et assignés à résidence surveillée par la gendarmerie à Aubeterre et Villefagnan, les tsiganes du département de la Charente.

Précédemment, en juillet 1938, le Préfet ordonnait la création d'un camp, aux Alliers sur la commune d'Angoulême. Un an plus tard, en juillet 1939, il servait à interner 800 réfugiés Espagnols chassés de leur pays. Ils furent victimes d'une tragédie de l'histoire avec leur déportation à Mauthausen en août 1940.

Dès septembre 1940, une soixantaine de tsiganes, évacués de Lorraine, avaient été regroupés et internés par familles entières au camp des Alliers.

En octobre 1940, la Kommandantur d'Angoulême exigera du Préfet qu'il rassemble tous les tsiganes de Charente ainsi que ceux de Charente Maritime, sous l'encadrement et la surveillance de la police française. Ils rejoignirent ainsi les tsiganes de Lorraine dans ce camp.

LA SITUATION ET LES CONDITIONS DE VIE AU CAMP

Ce camp situé au sud d'Angoulême, à Rabion, en bordure de la voie ferrée Paris-Bordeaux, avait une superficie d'un hectare soixante cinq, entouré de plusieurs rangées de fils barbelés. Il était composé de onze baraquements au total, dont huit baraques en planches disjointes, de quarante mètres sur huit pour les habitations et trois autres plus petites pour le corps de garde et l'administration, les cuisines et l'infirmerie.
En décembre 1940, la tempête arrache les toits en carton bitumé et il pleut à l'intérieur. Par temps de pluie, les alentours des baraques se transforment en véritable bourbier.
*loi française à caractère raciste instituant les carnets anthropométriques d'identité remplacés par la loi de 1969 instituant les titres de circulation.
En décembre 1941, au sujet des Alliers, l'inspection générale des camps note à propos des baraques : « La plupart sont dans un état de délabrement extrême et ne peuvent constituer même pour des nomades qu'un abri insuffisant ».
Les fosses d'aisances sont pleines et inutilisables. L'eau potable fournie par des puits ne peut plus être utilisée faute de pompes en état. Les douches prévues initialement ne fonctionneront pratiquement jamais. Le manque d'eau obligera à aller la chercher à une borne fontaine route de Bordeaux.
Dans de telles conditions, les vêtements ne sont plus entretenus, ni changés : l'état vestimentaire est extrême. Les maladies cutanées : gale, impétigo sont nombreuses. Une épidémie de typhoïde ainsi que deux cas de méningite, entraînent la consigne du camp pour plusieurs semaines en 1941.
Les hivers et le froid mettent en évidence une insuffisance de poêles et une pénurie constante de charbon et de bois de chauffage malgré des demandes de la direction restées sans suite. Les familles se partagent une à deux couvertures pour cinq six personnes.
La nourriture était extrêmement réduite, à tel point que le Préfet écrit en octobre 1941 au Directeur pour lui dire qu'elle est nettement insuffisante.

LES EFFECTIFS

C'est par familles entières que les tsiganes ont été internés. Les registres des Archives Départementales démontrent qu'environ 450 tsiganes furent internés à des périodes variables en fonction des transferts avec les autres camps des départements voisins. Cependant les effectifs régulièrement présents ne dépasseront pas 350 personnes dont près de 60 % étaient des enfants.
Les évasions étaient nombreuses et régulières. Elles varieront entre dix et vingt pour cent des tsiganes internés : « les départs clandestins se produisent en ce moment à peu près tous les 8 jours », écrit le directeur en avril 1942.
Privés de leur carte d'alimentation, les évadés s'exposaient encore plus aux dénonciations et revenaient au camp, en famille, encadrés par deux gendarmes.

L'ENCADREMENT DU CAMP

Le directeur du camp commandait onze personnes pour encadrer les tsiganes présents. Deux gendarmes et cinq gardes civils assuraient les permanences et les gardes. Ils étaient assistés d'un économe et d'une infirmière. Deux religieuses dirigeaient l'école « sous le contrôle de l'Inspecteur d'Académie » alors que vingt enfants « impossibles » avaient été dirigés vers le Centre du Père Le Bideau.

LA VIE QUOTIDIENNE ET LE TRAVAIL 

Le règlement du camp précise :

II est interdit de sortir du camp. Toutefois pour les nomades devant assurer leur subsistance par le travail, des autorisations de sortie peuvent également être délivrées dans des cas exceptionnels ».
Le camp est fermé la nuit de 21 heures à 7 heures. Les femmes munies d'un laissez passer peuvent sortir pour faire les commissions à partir de 10 heures.
Certains tsiganes pouvaient donc s'absenter pour le travail. Ainsi en septembre 1942, ils étaient quarante cinq à travailler à l'extérieur du camp soit pour l'occupant, à la Poudrerie et la Fonderie de Ruelle, dans l'agriculture ou pour le compte de la Ville d'Angoulême.
Sur place, à l'intérieur du camp, trois personnes assuraient le travail de jardinage, d'entretien et la cuisine de la cantine, tandis que les femmes et les enfants continuaient leurs petits métiers traditionnels de vannerie.
L'administration du camp avait mis en place un régime de punitions avec comme sanction, mise à l'eau et au pain sec avec consigne pendant 15 jours.


LA FIN DE L'INTERNEMENT

II aurait paru logique, pour l'observateur d'aujourd'hui, que les tsiganes aient été libérés dès la fin des hostilités mais ce ne fut pas le cas.
La nouvelle administration du gouvernement de la Libération maintiendra l'existence et le fonctionnement de ce camp jusqu'en mai 1946. (Voir l'article du journal Sud Ouest du 7 avril 2010 : Les Manouches.pdf)

 

Ainsi non seulement le camp des Ailiers fut le dernier à libérer les tsiganes mais il fut aussi celui dont la durée de fonctionnement fut la plus longue de France.
Des familles rejoignirent seules et à pied les lieux où elles avaient été arrêtées. D'autres trouvèrent refuge dans les grottes des Eaux Claires à Ma Campagne. Tous leur biens : roulottes, chevaux, étaient perdus. Ils n'auront aucune aide, aucun dédommagement, ils ont dû recommencer leur vie à zéro, plus méfiants que jamais envers les « gadjé ».


[ extrait du livret imprimé à l'occasion de la commémoration du 16 décembre 2006 par l'association Gens du Voyage Centre Social les Alliers (avec le soutien de la HALDE), 2007.24 p ]

 

 

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