La saga des châtelains de Coureilles
D’où vient l’argent ?
« La découverte de l’Amérique, la circumnavigation de l’Afrique offrirent à la bourgeoisie naissante un nouveau champ d’action. Les marchés de l’Inde et de la Chine, la colonisation de l’Amérique, le commerce colonial, la multiplication des moyens d’échange et en général des marchandises donnèrent un essor jusqu’alors inconnu au négoce, à la navigation, à l’industrie … » (Karl Marx, Manifeste du Parti communiste)
Aux XIXème et XXème siècles, l’étude de l’histoire des deux familles qui se sont partagé entre autres biens la possession du château de Coureilles montre qu’elles étaient issues de la bourgeoisie marchande. Elles s’étaient enrichies rapidement, accumulant des fortunes par l’exploitation du système seigneurial, de l’esclavage ou de l’industrie capitaliste.
La famille Fleuriau : des colonies à la noblesse
Né en 1709 d’une famille aux lointaines origines châtelleraudaises, où elle avait compté quelques membres dans la haute bourgeoisie marchande, Aimé-Benjamin Fleuriau fut l’archétype du commerçant rochelais devenu grand propriétaire à Saint Domingue avant de se retirer après 1755 pour vivre de ses rentes et satisfaire son ambition sociale par l’achat de biens immobiliers et par celui d’un titre nobiliaire attaché à la seigneurie de Touchelongue. Père de 14 enfants dont les 8 qu’il a eus avec Jeanne Guimbelot, son ancienne esclave à Saint-Domingue, il se maria après son retour, en 1756, avec Anne-Suzane Liège, issue d’une famille de commerçants rochelais qui avaient aussi des intérêts à Saint-Domingue. Lorsqu’il mourut le 31 janvier 1787, et alors qu’il était parti à Saint-Domingue sans le sou pour pallier à la faillite de son père, il était à la tête d’une immense fortune obtenue grâce à l’exploitation froide et résolue de centaines d’esclaves, fortune qui avoisinait 4 000 000 de livres (Peut-être environ 60 millions d’€ actuels).
Tandis que son fils Aimé-Paul reprenait le titre de Touchelongue, sa dernière fille, Marie-Adélaïde, née le 22 mai 1766, épousa Charles-Pierre Pandin de Rommefort, lieutenant colonel du régiment d’Agenois, chevalier de Saint-Louis, reconnu « noble de race » par jugement de la Cour des Aides le 13 août 1751 et qui sera vice-président de la branche rochelaise du club de Massiac (le club de Massiac était un lobby esclavagiste, qui s’opposait à la société des Amis des Noirs), tandis que le secrétaire en était François Liège et l’âme parisienne le fils Fleuriau, Aimé-Paul. Le club déclarait en 1789 : « Nous appréhendons que les vues de liberté soient fort nuisibles à l’existence d’un pays qui n’a existé et qui ne peut guère exister que par l’esclavage. Nous avons même craint pendant quelques temps que l’Assemblée nationale ne portât quelque décret qui ne mit le trouble dans nos colonies. Toutes ces vérités ne sont pas bonnes à dire. La liberté ne nous serait pas utile, elle ne le serait même pas aux nègres… » .
Tous deux acquirent le 24 décembre 1802 la terre de Périgny et le domaine de la Roche Barangère, à Périgny, terre comprenant le château de Coureilles et le domaine la Pommeraie qui avait appartenu à Suzanne Liège. Napoléon les maintint dans cette propriété en 1806. Ils vendirent le domaine de la Pommeraie en 1807.
Charles-Pierre Pandin de Rommefort fut aussi maire de Périgny du 12 août 1805 à sa mort, le 11 novembre 1823, au château de Périgny.
Marie-Adélaïde y mourut à son tour le 3 avril 1833.
La famille Contancin-Pillot et l’accumulation du capital
Jean Contancin le marchand de vin devenu agent seigneurial
Né en 1733, d’une famille originaire de Châtellerault où elle avait compté quelques procureurs, Jean Contancin s’était établi comme marchand à Mauzé au milieu du XVIIIème siècle, sa présence y étant attestée dès 1757. Il était alors courtier en vins et eaux de vie.
Il prit ensuite en plus de cette activité, la ferme des revenus de plusieurs seigneuries, dont celle du château de Mauzé, grâce à Me Thomas Pillot, fondé de pouvoir du baron de Mauzé, qui était alors Charles Philipe de Vallois, aussi baron d’Autricourt, de Craon, Seigneur de Turis, La Loge, Pomblain, etc… Pour le compte d’Henri de Beynac, il prit à ferme la maison noble de Saint-Georges du Bois. Pour le baron de Mauzé, il était chargé pour 7 ans de « la levée des fruits due à titre de complants ou de dixmes seigneuriales » dans les vignes dépendant du château.
En 1762, il demeurait à Granges où il avait installé chais et brûlerie. Il y était encore en 1766. Bien qu’accusé de fraude, il continua sa fortune et acquérit l’auberge du Dauphin à Mauzé où il s’établit.
Devenu fermier général de la terre, baronnie et seigneurie de Mauzé en 1773, il s’installa au château.
En 1783, il achetait à Jean Pillot la métairie du Treuil Boisseau, se faisait construire une maison de maître à Mauzé et achetait de nombreux autres biens.
Marié à Rose David de la Croix, il en avait eu 10 enfants. À sa mort, le 2 août 1795, 8 étaient vivants. Chacun reçut 5000 livres et sa veuve en eut 40 000 en plus des biens immeubles estimés pour chacun à 10 000 livres. (Fortune totale de 160 000 livres, qui représenterait de nos jours environ 2 400 000 €).
Jean Abraham Contancin fit 3 fois fortune grâce à l’esclavage
Son second fils était Jean Abraham, né en 1769.
Il s’établit à Saint Domingue et s’y enrichit rapidement. La "révolte des Nègres », en 1793, autrement dit la Révolution de Saint-Domingue menée par Toussaint Louverture, détruisit ses propriétés. L’abolition de l’esclavage survint le 9 septembre 1793 à Saint-Domingue et le 2 février 1794 dans toutes les colonies françaises avant son rétablissement en 1802 par Napoléon dans les autres Antilles françaises. Mais Haïti ayant résisté à l’expédition de 30 000 hommes de Leclerc et Archambeau et proclamé son indépendance le 1er janvier 1804, Abraham dut revenir en France sans ressources propres.
Il partit de nouveau en Amérique, s'établit dans les colonies espagnoles (à Porto Rico, où l’esclavage ne fut aboli qu’en 1873) et réalisa encore une brillante fortune. Comme il revenait en France, le vaisseau sur lequel il était, fut pris par les Anglais qui le retinrent prisonnier. Ayant réussi à s'échapper, il repartit une troisième fois à Porto-Rico vers 1820, rejoint par son neveu Aristide.
Ayant réalisé une troisième fortune il revint à Paris où il mourut vers 1835.
Pierre-Jacob Pillot le chirurgien de marine devint marchand
L’aînée des filles de Jean Contancin, Marguerite, épousa le 16 avril 1787 Pierre-Jacob Pillot, né le 21 février 1753, fils du notaire royal et directeur de la poste aux lettres du bureau de Mauzé, Jacob-Thomas Pillot. Il était chirurgien de levée sur les vaisseaux du roi (un chirurgien de levée était un chirurgien qui n’avait pas été formé par la marine mais engagé par elle), à Rochefort de 1770 à 1780, puis à Brest de 1780 à 1783. Il participa à la conquête du Sénégal et aux combats de Bristol. Il était à la bataille de Trafalgar le 21 octobre 1805. Ayant donné sa démission après la disparition de l’amiral de Villeneuve, il s’était retiré à Mauzé comme médecin de campagne mais vécut du commerce de l’eau de vie. Il avait des clients à Chatellerault, à Angers, à Paris, à Caen, à Rouen et jusque dans la Somme. Il fit néanmoins faillite en 1814 et habita à Tesson, près de Beauvoir à partir de 1821. Il mourut le 21 février 1826.
Pierre-Jacob Pillot et Marguerite Contencin avaient eu 5 enfants dont André-Pierre, né en 1797, qui émigra en Amérique, devint d’abord commis-négociant à Charleston, en Virginie, puis à Augusta en Géorgie, enfin banquier à New-York.
Joseph Aristide Pillot, colon, devint propriétaire à Périgny
Le frère cadet d’André-Pierre, Joseph-Aristide, naquit en 1800 à Mauzé (la même année et dans la même commune que René Caillé, le premier européen à avoir visité Tombouctou et en être revenu vivant). C’est lui qui rejoignit son oncle Abraham Contancin à Porto Rico pour y faire fortune à son tour. De retour en France dès 1839, il acheta le 14 septembre 1842 pour la somme de 128 000 francs, le Prieuré de la Vaurie, le domaine de Coureilles, et une partie de celui du Morillon, sur les communes d’Aytré et de Périgny, à Louis-Benjamin Fleuriau de Bellevue, frère d’Adélaïde et son exécuteur testamentaire.
Plus gros contribuable de la commune de Périgny, il en fut conseiller municipal en juillet 1843 et le préfet le nomma maire le 15 Octobre 1846. Il conserva cette fonction jusqu’au 24 septembre 1848, et à l’institution du suffrage universel masculin pour l’élection du maire. Il fit adopter au conseil le principe que chaque année, "tous les excédents de recettes de quelque provenance qu'ils soient seront consacrés aux réparations à faire dans le presbytère ou l'église". Après l’élection de son successeur, Nicolas Millet, il assista le moins souvent possible aux sessions du Conseil municipal, s’attirant même les foudres de ses pairs à propos de son absentéisme. Ils réclament sans succès au préfet son exclusion du conseil municipal en 1850 pour absences répétées et non excusées.
Il se maria le 20 novembre 1816 à Niort avec Marie-Clarisse Clerc-La-Salle. Ils eurent 4 enfants : Marie-Jeanne en 1839, Maurice en 1841, Mathilde en 1843 et Louise en 1845.
Joseph Aristide mourut à Périgny le 23 février 1871.
Maurice Pillot le colon, devint industriel à Montmorillon et notable à La Rochelle
Ce sont les héritiers d’Aristide, décédé au château de Coureilles le 28 septembre 1970 qui vendirent la propriété à la commune de Périgny en 1971 et 1975 pour 1 000 000 de francs.
Sources : pour la famille Fleuriau, voir J. De Cauna, « au temps des îles à sucre », pour la famille Contencin, les publications de la société d’histoire de Mauzé et pour Pillot, le fonds Pillot aux Archives départementales de la Charente-Maritime.
|