Extrait des mémoires de Jacques Rouillon

Récit tiré des mémoires de jeunesse de Jacques Rouillon

(Les intertitres sont de Périgny Story).

(Les noms propres ont été volontairement ignorés)

Étudiant à Bordeaux en 1942-43

Ma chambre se trouvait dans une maison entièrement rénovée par son propriétaire, un directeur d’école très actif qui avait usé et abusé du béton armé, ce qui donnait à l’immeuble une résonnance désagréable. Il y avait une mémé qui vivait au-dessus de moi et j’entends encore la gamme descendante du remplissage de son seau hygiénique. À part ça, les pièces étaient vastes et claires. Mes deux fenêtres donnaient sur la rue Le Reynard, vis à vis d’une vieille matelassière qui engueulait son chien à longueur de journée, en le traitant de « cong ». L’immeuble comportait deux terrasses superposées avec une pièce vitrée tout à fait sympathique. Les propriétaires aussi étaient sympas. Le mari avait des airs de satyre et sa femme, une institutrice, plus jeune que lui, très rougissante, semblait le craindre un peu. J’avais accès à la bibliothèque, fort bien garnie de livres libidineux, aux terrasses : la satisfaction sinon le bonheur !

J’avais judicieusement abandonné la chimie pour m’inscrire au SPCN, c’est-à-dire Sciences Physique, Chimique et Naturelle. C’était un certificat préparatoire à ces études et qui doublait le PCB (Physique, Chimie, Biologie) qui donnait accès à la première année de médecine (je n’avais pas renoncé). Tout semblait aller pour le mieux, les études étaient à ma portée, passionnantes (Ah ! disséquer le système nerveux de la moule !). J’avais retrouvé l’esprit d’équipe des copains quelque peu modifié mais toujours dans le même état d’esprit.

La loi du 16 février 1943

Bref, tout allait pour le mieux jusqu’au moment où, après une loi sur « l’orientation de la main d’œuvre », un recensement de main d’œuvre qui nous avait mobilisés en examens et longues files d’attente, survint –mais on s’y attendait- la loi sur le service du travail obligatoire du travail, le STO, le 16 février 1943. Elle impliquait une mise à disposition de cette main d’œuvre au service des Allemands et touchait les jeunes gens nés en 1920, 1921, 1922. J‘en faisais partie.

Échapper au STO ?

Il est impossible de faire revivre l’atmosphère de cette période troublée en en séparant les différentes données car nous vivions dans un vrai délire collectif, souffrant dans nos corps affamés et amaigris, nos perspectives d’avenir coupées par l’absence d’espérances, l’impossibilité de constructions logiques, notre impuissance sous la botte allemande et ses contraintes progressives par l’intermédiaire du gouvernement légal de Vichy.

On n’a jamais évoqué l’habileté diabolique ou plus simplement bien calculée du système allemand. Il faut savoir que dans les camps de Juifs, c’étaient des Juifs qui assuraient la police. De même, pour le STO, ce furent les fonctionnaires français, aidés si besoin par la police française, qui organisèrent tout. Le STO fut assimilé au service militaire disparu, si bien que chercher à y échapper était assimilé, par la masse des Français, à une désertion.

Mais je reviens à nos états d’âme. Nous vivions, faute de vivre sur place, avec intensité, les événements extérieurs, quittes à en tirer des conclusions prématurées. C’est ainsi que la libération de l’Algérie (5 Janvier 1942), la chute de Stalingrad (30 Janvier 1943), nous semblèrent les signes annonciateurs d’une défaite allemande. L’annonce du STO ne fut qu’un élément supplémentaire dans ce puzzle incohérent, avec une préoccupation concrète : comment y échapper ? On se tournait vers les médicaux pour trouver une cause de réforme : fausse tuberculose, albumine obtenue en mélangeant à l’urine du blanc d’œuf desséché. On évoquait la possibilité de franchir les Pyrénées, de fausses cartes d’identité, mais il manquait toujours quelque chose et, principalement, de l’argent. Alors, on se repliait sur l’espoir de voir survenir « l’événement » qui nous sortirait de ce cauchemar.

En sursis

Faut-il préciser que dans un tel climat, les études avaient tendance à passer au second plan ? Mais il ne faut pas en déduire que nous vivions dans l’affliction et la morosité. La danse sur un volcan, cela existe. Autour du RU de la Fac, nous formions toujours une bande joyeuse avec un peu plus d’intimité, peut-être.

Il y avait Jacques le Rochelais, les sœurs Huguette et Ginette de Courçon, le grand Pierre du Gué, la Rochelaise Christiane qui nous avait amené Jean, le seul Bordelais de la bande, les deux Simone, dont une Landaise, des élèves de l’école de marine marchande, et d’autres encore.

Je n’ai plus le souvenir des bals clandestins mais plutôt de réunions plus intimes et de sorties à la campagne dont du camping encore à Saint-Seurin mais aussi à Trémolat, en Dordogne, où Jacques avait eu des attaches et qui était devenu accessible du fait de la suppression de la ligne de démarcation séparant les deux zones, occupée et libre, dans les années précédentes. Nous avions l’arrière-pensée de nous joindre à un mythique « maquis » dont on évoquait l’existence à voix basse, mais, soit il n’existait pas encore, soit nous ne sûmes pas le joindre. La population rurale nous rejetait franchement et ne nous ravitaillait pas sans réticence. Elle  ne se montrait pas du tout favorable à ce que nous nous dérobions au départ en Allemagne, avec des arguments sans appel. Il faut savoir que cet exode forcé de neuf cent mille jeunes vers l’Allemagne avait été baptisé « relève » ce qui voulait dire qu’en échange de travailleurs, les Allemands libéreraient des prisonniers, ce qui déclenchait des réflexions intéressées de la part des familles et relations des nombreux prisonniers : « Vous pouvez bien partir, y’a mon mari, fils, neveu, … qui y est depuis trois ans ! ». On a donné des chiffres mais il est bien évident que n’ont été « libérés » que ceux dont les Allemands voulaient bien se débarrasser.

Alors que les premiers départs avaient lieu en Mai, il nous fut accordé, pour cause d’études, un sursis jusqu‘en Juillet, mais nous étions sous haute surveillance, devant montrer notre « carte de travail » à tout moment et étant tenus de nous présenter en personne pour toucher nos indispensables cartes de ravitaillement. On pouvait bien parler maquis, passage en Espagne, maladie simulée, l’échéance approchait. Les « braves » gendarmes de chez nous faisaient leur métier avec zèle. Le Commissaire de police de Cognac mettait un point d’honneur à ne laisser aucun « réfractaire » dans son secteur. Après mon départ, il harcela ma famille jusqu’à ce qu’elle lui montre un courrier de moi, venu d’Allemagne. À mon retour, j’appris qu’il avait été « résistant ».

Il fallait donc partir. La famille m’y poussait aussi de crainte que je ne fasse une « bêtise » mais aussi par légalisme. Le STO, c’était le service militaire ; s’y soustraire, c’était comme déserter !

Les promesses de la JOFTA

Le mois de Juillet arriva. J’avais passé mon examen sans succès, mais quelle importance ? Se présenta alors une opportunité sous forme d’un communiqué présentant la JOFTA (Jeune Ouvrier Français Travailleur en Allemagne). C’était une forme des Ateliers de Jeunes, équivalent en zone occupée des Chantiers de Jeunesse qui remplaçaient le service militaire interdit comme il se doit. C’étaient, en fait, les balbutiements de mise en place de l’Enseignement technique, mais alors, il s’agissait seulement d’encadrer les jeunes pour leur départ en Allemagne en leur promettant de les vêtir -vachement important, vu l’état des garde-robes- mais aussi de leur faire effectuer un apprentissage de trois mois dans la région parisienne. Quelle perspective ! Trois mois de gagnés ! Les Alliés venaient de débarquer en Sicile, peut-être que la guerre serait finie ? Incurable optimisme ! 

L’état de guerre gomma toutes les différences d’opinions unies dans « l’anti-boche » unanime. Si je n’ai pas connu de Gaullistes acharnés, je n’ai pas non plus connu de Pétainistes acharnés. On considérait le Maréchal avec une sorte d’ironie bienveillante, un vieux tonton un peu gâteux. Nous avions été contactés par des collabos cherchant à recruter ; ils en avaient été pour leurs frais.

C’est à Bordeaux que je rejoignis la JOFTA dans un immeuble meublé de quelques matelas étalés par terre. J’y trouvai quelques types dans mon cas dont certains devaient être mes compagnons des années suivantes. Nos cadres, assez peu présents, nous faisaient chanter des chansons idiotes : « Pelle noire, pelle blanche », dans une ambiance de scoutisme un peu débile. Ils étaient vêtus de l’uniforme que nous devions porter : pantalon fuseau dans de courtes guêtres sur brodequins, blouson, le tout en drap bleu, béret basque. Nous étions très libres. J’en profitais pour faire mes adieux à Simone devenue « ma fiancée » avant de quitter Bordeaux, mettant ainsi fin à ce chapitre.

Départ pour l’Allemagne

Notre convoi, parti de la gare de l’Est, roula à travers les campagnes françaises, diversement accueilli, d’abord par des gestes hostiles puis, alors que nous avions profité d’un arrêt pour écrire sur les wagons avec des pierres calcaires et en grosses lettres « Requis STO », par des saluts poing fermé des employés sur la voie. Je note que si certains levaient le poing ouvertement, d’autres faisaient semblant de se gratter la tête !

Nous passâmes la frontière avant Metz où nous arrêtâmes en gare pour consommer dans un bistrot à tout faire, à l’allemande. Ensuite, nous roulâmes dans la nuit, apercevant Trèves et nous réveillant dans un paysage de conte de fées ; les brumes matinales se dissipaient sur des collines, des bois verdoyants, des maisons, des villages, pimpants, coquets. Nous qui pensions l’Allemagne à feu et à sang ! Le soleil montait dans le ciel, nous voyions des foules endimanchées, des enfants blonds, tête rase pour les garçons, nattes pour les filles. Des prisonniers français se baladaient librement avec leur uniforme « décoré » d’un gros KG à la peinture blanche (Kriegs Gefang – prisonniers de guerre), nous montrant un poing hostile car les inscriptions avaient disparu dans la nuit. À Kassel des « Schwester », infirmières en uniforme, nous offrirent des bols de soupe à la mode du pays. C’était un mélange consistant de légumes et de pâtes. Le bruit courut que nous allions être hébergés, en apprentissage, dans un château en plein bois.

Arrivée à Wolfsburg : la KDF

C’est en fin d’après-midi que nous arrivâmes à destination, après une campagne plate et vide. On nous arrêta dans une petite gare : à droite, une ville en baraques de bois, à gauche, au-delà d’un large canal, une longue façade de briques rouges, coupée de larges baies, séparées par des avancées. Une énorme bâtisse occupait l’extrémité droite : c’était l’usine de la Kraft Durch Freud-KDF (la force par la joie) qui fabriquait la Volkswagen (la voiture du peuple) et son énorme centrale électrique.

Le lager

En fait de château on nous installa dans des baraques en bois séparées en chambrées d’une vingtaine de lits. C’étaient des lits superposés avec, à côté, une armoire. Le tout était propre. Il y avait des espaces verts. Des allées de mâchefer séparaient les baraques et menaient aux toilettes : WC collectifs avec leurs sièges alignés côte à côte. Il y avait aussi des lavabos, des douches, des lavoirs. Dans la chaleur étouffante de ce Juillet continental nous défilâmes au prix de longues queues pour recevoir le matériel de base : matelas à garnir de paille, drap, couvertures et une housse en tissu léger destiné, mais ça nous l’ignorions, à recevoir les couvertures, (la couette nous était totalement inconnue), plus une large cuvette d’aluminium dont les usages se révélèrent multiples. Même suite de formalités à l’usine avec de longues files pour nous munir de l’ausweiss, carte d’identité pour circuler dans l’usine et cartes d’alimentation.

La chaîne

C’est à la suite de ces épreuves longues et éprouvantes, que je me trouvai affecté à un atelier dit « mécanique » où l’on fabriquait la « Kubel wagen », la jeep allemande ainsi que quelques véhicules amphibies et, rarement, la voiture du peuple, c’est-à-dire celle que l’on  appela plus tard la coccinelle et qui avait été à l’origine de la construction de l’usine.

J’étais posté à une chaîne où l’on fabriquait les supports de fusée des roues avant et mon travail consistait, avec une meule émeri, à rectifier les erreurs de fonderie.  Nous étions installés dans un vaste hall (peut-être cent mètres sur cent, ou plus) avec un toit en dents de scie ouvert et vitré du côté du nord. Le sol était pavé de bois goudronné et les machines, grises, étaient alignées strictement. Le bruit était assourdissant. Il régnait une sorte de touffeur humide autour des machines lubrifiées par un courant d’eau mousseux et chaud. Les individus, dans ce décor, perdaient de leur réalité, grisâtres dans leurs bleus de travail entre les machines grises aussi.

Les « collègues »

Sur le plan humain, c’était aussi un beau mélange : l’ouvrier principal de ma section était un allemand, Gustave. Chauve, moustachu, le teint blême, il multipliait les consignes dans un allemand que je ne comprenais pas. C’était de l’argot. Près de lui, deux Italiens qui avaient participé à la construction de l’usine et étaient restés. Ils étaient sympathiques. Autour de cette équipe évoluaient, au gré des temps, un grand Hollandais, étudiant dans son pays -Ils étaient nombreux dans ce cas-, un grand « Russe » si l’on peut désigner ainsi un représentant de cette zone indéterminée entre Pologne, Roumanie, Ukraine. C’était un paysan au sourire triste. Ses mains étaient le double des miennes et, entre elles, les pièces métalliques étaient des joujoux. Les vrais Ukrainiens étaient nombreux, dont beaucoup de filles. Ils affichaient un carré marqué « Ost » sur leurs vêtements. Il y avait aussi des Polonais, des prisonniers français et russes, ces derniers survivants d’une terrible hécatombe causée par un terrible hiver passé sans baraques entre les barbelés et dans les pires conditions alimentaires. Il y avait aussi des Belges, les Flamands collabos servant souvent d’interprètes, les Wallons plus francophiles que les Français,  des Serbes, des Tchèques, etc. On faisait état de dix-sept nationalités.

Les civils allemands

J’allais oublier les Allemands ! Il faut dire que ce n’étaient pas les plus nombreux. Il y en avait de plusieurs sortes : les sous-fifres, comme Gustave, du genre à passer aussi inaperçus que possible, des petits chefs en bleus, plus ou moins qualifiés comme régleurs de machines, dispensés de service militaire pour des raisons parfois obscures, parfois patentes, comme dans le cas de cet hurluberlu qui errait comme halluciné entre les machines en se frottant mécaniquement le dessus des mains, assez réservés dans leur attitude et propos. Ils se montraient plutôt sympas, surtout hors de la présence du « Meister » ("contremaître" en français).

Le Meister

Pas de chance, le nôtre, qui se nommait G..., était une peau de vache. Il avait le profil (saxon) du roi d’Angleterre et avec lui c’était l’engueulade perpétuelle, et « à la boche », c’est-à-dire que ça s’entendait ! Il ne s’adoucissait que pour parler à Maria, une Ukrainienne grassouillette, ce qui était déjà plein de signification. Ses compatriotes la traitaient de « Courba », courtisane ( ?) en russe mais son entourage en profitait et G... fut bien déçu à la Libération ! G... était un fana du boulot. Il revenait la nuit, parfois, en uniforme de SA, c’est-à-dire de Section d’Assaut, milice du parti nazi qui avait précédé la SS, uniforme militaire autour de la « chemise brune », brassard, drôle de casquette, bottes reluisantes et attitude plastronnante. Puis, il se trouva qu’on le vit de moins en moins. De mauvaises langues firent remarquer que ce changement d’attitude correspondit au changement de couleur de son macaron d’identification passé du rouge (salaire horaire) au blanc (salaire mensuel). Nous ne nous en plaignîmes pas !

Les autres chefs

Il y avait d’autres catégories plus lointaines : l’ingénieur, le nôtre, montrait une désinvolture assez peu germanique. Il allait jusqu’à mettre ses mains dans ses poches, geste on ne peut plus inconvenant et qui aurait valu à n’importe qui d’autre une charge vociférante de notre G... De temps en temps passaient des groupes imposants de personnalités devant qui tout s’écrasait, mais était-ce utile ? Ils ne nous voyaient pas. Parmi ceux-ci, on chuchota un jour : « Herr Porsche ». On dit aussi que les bureaux d’étude étaient pleins de dessins futuristes de voitures en forme d’obus, l’avenir était déjà là !

La Werkschutz

Parmi les Allemands, ne pas oublier la Werkschutz, les policiers en uniforme gris violacé avec « gummi » (matraques en caoutchouc), pistolets, chiens en laisse. Ils parcouraient l’usine inlassablement, surgissant de la grisaille, et c’est la nuit, à la lueur de l’éclairage des lampes à mercure, que leur apparition se faisait plus inquiétante. Pourtant, en dehors de cette inquiétude, nous les craignions peu. Ils traquaient surtout les « Rouskis » qui, reconnaissons-le, se montraient très actifs dans la délinquance usinière et assez insensibles aux coups. C’étaient surtout des gamins de moins de vingt ans, ukrainiens, qui semblaient jouer aux gendarmes et aux voleurs.

S’adapter au travail

La vie en Allemagne, ce fut d’abord l’usine, douze heures par jour, avec au début, un demi-samedi, douze heures de jour ou de nuit, par semaines alternées. Douze heures d’une tache répétitive et fatigante avec cependant une certaine latitude en fonction des tâches accomplies.

Les pièces (« stücken ») parcouraient la chaîne en un courant continu, passant d’un usinage à un autre, d’une machine à une autre, par une glissière métallique où elles s’accumulaient en attendant l’étape suivante. Tout dépendait de la grosseur du tas à faire. S’il était important, le Meister surgissait et poussait sa gueulante habituelle. S’il était réduit, on pouvait aller faire un tour aux WC, fumer une cigarette, faire une causette avec un copain. Toute panne en amont était bien venue, même s’il fallait ensuite rattraper le retard -mais ça pouvait tomber sur l’équipe suivante ! N’empêche que les heures étaient longues, surtout la nuit ! Ce ne fut qu’en 44 que de nombreuses alertes permirent de bons roupillons dans les abris.

Quel choc pour le petit bourgeois provincial que j’étais, de se sentir ainsi dégradé ! Pourtant, notre situation était assez proche de celle des Allemands. Nous étions payés régulièrement, nous bénéficions de la sécurité sociale qui n’existait pas en France, nous avions accès aux vestiaires, lavabos, douches, qui faisaient, à notre surprise que l’ouvrier allemand, son travail fini, se lavait, se changeait et évoluait en ville sapé comme un bourgeois, alors qu’en France, sortaient des foules crasseuses en bleus de travail.

L’usine elle-même était à la pointe du modernisme. Chaque machine y disposait d’un moteur autonome, alors qu’en France, d’après ceux qui connaissaient la question, on en était encore à une transmission par courroies à partir d’axes de distribution. Cela n’enlevait rien à la pénibilité du travail, à la fatigue, piétiner durant douze heures devant la meule qui crachait fumée et étincelles.

La répression

Je faisais un peu figure de paria à côté de responsables de machines plus nobles : fraiseuses, perceuses et autres, mais quelques tentatives devant ces engins m’avaient dissuadé. Je suis incroyablement distrait et une distraction peut coûter un doigt ou plusieurs. Ou pire encore, la destruction d’un outil précieux, car la pénurie se faisait sentir dans le domaine des aciers spéciaux. Et quand le meister disait « Pass mal auf ! (Fais gaffe !), c’est la dernière fraise » et que tu savais que pour sa destruction tu pouvais être accusé de « sabotâge », risquant le camp 21, tu tremblais. C’est pourquoi je préférais être devant ma meule, indestructible, chanter, me réciter des vers y compris en latin sans autres risques, pourtant pas à négliger, qu’un éclat d’acier dans l’œil.

Le straff lager

Le camp 21 était un « straff lager » : un camp de punition. Dépendait-il de l’usine ou de la Gestapo ? Des deux peut-être ? Je l’ignore. On en parlait fort lors de notre arrivée. Un des dimanches précédant notre arrivée, une bande, partie, je le crois, du camp belge, s’était mise à célébrer le 14 juillet, créant et entraînant un long défilé qui, serpentant à travers les camps, alla tourner autour des camps de prisonniers, des milliers de personnes, sans réaction immédiate des Chleuhs (désignation la plus courante des Allemands) mais amenant une réaction tardive et brutale. Durant la nuit, une rafle  improvisée à travers les camps captura au hasard les noctambules allant ou revenant des toilettes ou autres lieux, direction, camp 21.

Ce numéro était devenu un symbole. Séjour : 21 jours, entrée marquée de 21 coups de bâton, les gars, tête rasée, vêtus des pyjamas si connus plus tard étaient astreints, à peine nourris, privés de sommeil, à de rudes travaux accompagnés de coups de gummi, de morsures de chiens. Je n’ai pas entendu parler de morts mais ceux qui revenaient, peine accomplie, avaient un tel aspect, couturés de cicatrices, marqués de bleus, tremblants avec un regard perdu, que cela suffisait à inspirer une terreur dissuasive.

Dans mon entourage, j’ai connu deux cas de condamnation au camp 21. Un, surnommé Tatave, brave type un peu simple en dépit des airs de voyou corse qu’il affectait. Une nuit, il vint me trouver en me montrant la belle lame de couteau qu’il venait de se fabriquer à partir d’une pièce métallique qu’il avait trouvée. Hélas ! C’était un « calibre » (outil qui sert à mesurer une dimension). La Gestapo l’a embarqué sur le champ. Il en est revenu  mais ses airs fanfarons avaient tout à fait disparu. Il pissait le sang mais on lui refusa un arrêt pour maladie.

Le second se prénommait Napoléon. C’était un ostréiculteur de Bourcefranc. Il était chargé d’une machine, une sorte de perceuse qu’il menait un train d’enfer, ce qui lui permettait d’épuiser son stock de pièces en un temps record. Il fallait voir l’engin, vibrant, sautant, fumant dans un tapage infernal ! Une fois sa tâche bouclée, il allait roupiller. Jusqu’au jour où la machine rendit l’âme et où on l’ accusa, non sans raison, de sabotage. Il a dû faire un assez long séjour, car, à son retour en France, il avait encore le cheveu ras et le pyjama rayé qui lui valurent les applaudissements de la foule.

« Langsam »

Ceci, alors que sa politique productiviste allait à l ‘encontre des consignes qui circulaient : « doucement, doucement », « langsam » (en allemand), « pomago » (en russe). Certaines machines s’y prêtaient. Il suffisait de les faire repartir sans changer les pièces installées. Comme il se conçoit, il fallait agir à l’insu de l’encadrement en ressortant des copeaux métalliques de façon à ce qu’ils semblent provenir d’un nouvel usinage. Les chefs n’y comprenaient rien, recomptaient les pièces sorties, regardaient l’heure, accéléraient la machine ce qui provoquait la casse des mèches ! Sincèrement, je ne pense pas que cela ait affecté la productivité mais cela forgeait un esprit. Nous avions une grosse difficulté à faire jouer ce jeu par quelques « vrais ouvriers » qui ne parvenaient pas, malgré leur réel sentiment anti-schleuh, à abolir leur conscience professionnelle.

D’autres formes de sabotage existaient. Je me souviens d’un tour démonté pour révision qui, par petits morceaux, avait pratiquement disparu. Le plus souvent, c’était jeté du haut de la passerelle qui surplombait le canal. Les gars du secteur aviation se débarrassaient là de riveteuses pneumatiques !

Les bombardements

La vie de l’usine ne fut bouleversée que par les bombardements de Juin 1944. Ils détruisirent le premier étage en crevant les toits. Les machines, sous les gravats, étaient intactes. Il s’ensuivit un épique déménagement vers le rez-de-chaussée dont le plafond présentait pas mal de trous béants. L’installation devint précaire, en plein courant d’air, les pieds dans l’eau mais, grâce à l’impossibilité de faire le black out, le travail de nuit fut amélioré par de très longues alertes qui procuraient de bonnes occasions de sommeil.

Ce fut la fin d’une époque, la débandade. Les SS et la Gestapo prirent en main la police de l’usine avec l’affichage du « Les pillards seront fusillés », qui a du coûter la vie à quelques Rouski. J’ai moi-même récolté vingt-quatre heures de prison pour n’avoir pas été au bon endroit au bon moment. En réaction à ce qu’ils considéraient comme une dépossession les Werkschutz se mirent pratiquement en grève, allant jusqu’à s’humaniser.

À Gifhorn

Les conditions étaient telles qu’elles amenèrent à un éclatement de l’usine en plusieurs unités, dispersées aux alentours. Notre chaîne fut déménagée sous le nom de code de « Glass » dans une verrerie située à Gifhorn, un chef lieu de canton à une dizaine de kilomètres de KDF. C’était une petite ville paisible entourée de champs et de forêts.

C’était une nouvelle étape. Nous logions empilés dans une vaste pièce dans un mélange de nationalités et de provenances, à proximité de l’atelier où nos machines étaient disposées en vrac. Le travail se faisait de plus en plus irrégulier par manque de pièces et interrompu jour et nuit par des alertes de plus en plus nombreuses.

Faute de travail à l’atelier je fus affecté à un chantier sympathique pour trois raisons : il s’agissait de creuser une tranchée pour une conduite d’eau dans un sol sablonneux qui se laissait bien travailler ; cette conduite était destinée à alimenter en eau le mini-camp où nous étions installés ; en plus, l’entrepreneur nous fixait une tâche pour la journée. Une fois celle-ci achevée, nous étions libres. C’était en Février. Il faisait un temps superbe. Ce fut mon dernier travail pour le roi de Prusse qui alors se nommait Hitler !

Une vie en communauté

Le travail à l’usine réunissait une équipe assez stable, équipe disparate s’il en fut mais cependant liée ne serait-ce que par l’habitude. Il y avait les camarades de chambrée, de camp, occasions de quelques causettes, à l’abri du meister, d’autres Français civils ou ex-militaires, des prisonniers transformés en « travailleurs libres » et puis tous les autres, malgré des différences de traitement, unis par leur sort commun de déportés, d’exilés involontaires, d’esclaves à disposition du vainqueur. Les différences de langage n’empêchaient pas la communication. Avec les Italiens, je parlais en italien – c’était un dialecte piémontais assez proche du français-, on se comprenait. Avec les autres, c’était un allemand de cuisine, avec des gestes et des dessins. On se comprenait aussi, on parlait de l’actualité ; de la guerre qui se rapprochait lentement, des familles lointaines, et même de littérature, les Russes apprenant avec une surprise teintée d’incrédulité, qu’Alexandre Dumas, dont ils connaissaient l’œuvre, était un Français, alors qu’ils le croyaient russe ! J’ai essayé de m’initier au russe mais s’il y avait pas mal de Maria, Sofia, Barbra, etc., je n’ai pas eu de contacts suivis avec elles. Au plus, et avec d’autres, m’étais-je fait, pour en avoir taquiné une au passage, traité de « dourak » -fou-, « Sarasa »-vérolé- et même de « Tsiran chiass oki » -Tsigane aux yeux verts ! Tzigane parce que j’étais brun, d’accord. Quant aux yeux verts ? À moins que, le rouge étant chez les Russes synonyme de beau, vert en soit l’antonyme !

Si je n’ai pas rencontré la Maria de Cavanna, je n’en n’ai pas moins entendu les magnifiques chœurs improvisés pendant les pauses et qui vous prenaient aux tripes. À défaut de Maria, j’ai tenté, avec ses frères, d’apprendre quelques rudiments mais ni Sacha ni Wladimir, ni Ivan, n’avaient de soucis pédagogiques. Ils ne songeaient qu’à rigoler et davantage à apprendre des grossièretés que des choses sérieuses. J’aurai eu plus de chance avec les prisonniers plus sérieux mais je n’ai pas eu assez de relations avec eux. Tout ce petit monde vivait en bonne harmonie, avec pas mal d’entraide et disons-le, dans la bonne humeur, avec le meister dans le rôle d’un pion irascible, à la limite peu redouté. Le tout étant de ne pas se faire prendre.

Si le travail prenait douze heures de notre temps, treize avec les trajets, il restait onze heures à vivre, plus les samedis après-midi et les dimanches. Même en retirant les heures de sommeil cela laissait pas mal de temps à passer dans une autre communauté : la chambrée et ce n’était pas le plus facile !

Notre chambre était la 8/13 (Lager 8, chambre 13). Prévue pour 18 occupants, elle n’en n’avait qu’une douzaine habituellement, certains étaient en effet partis en stage dans d’autres usines mais leur place était réservée. D’autre part, il y avait toujours parmi les restants quelques « Nächtig » -les travailleurs de nuit- qui vivaient pendant les absences des autres et réciproquement. L’effectif présent était plutôt de l’ordre de la demi-douzaine en dehors des dimanches.

Un groupe de hasard

La vie n’en était pas pour autant facile. Les hasards des répartitions avaient brassé les populations et des groupes se constituaient qui comptaient des personnalités qui s’opposaient.

Je faisais partie d’un groupe formé depuis Bordeaux, avec un instit, Marcel, beau garçon, coureur invétéré, laïcard convaincu, grande gueule ; un ébéniste de Langon, André, rural et folklorique qui se sentait complexé par rapport aux intellectuels mais qui les valait largement par sa faconde gasconne, son robuste bon sens, sans compter son savoir faire professionnel ; Paul, un cas ! Il était grand, pâle, la chair flasque, s’exprimait lentement et d’une voix faible. Une grande fille à peine sortie des jupes de sa mère ! Une crédulité invraisemblable ! Plus âgé que nous, il était le seul travailleur volontaire. Les caractéristiques de cet engagement étaient à l’image du type. Faisant partie de la classe 40, il fut astreint au STO mais pas au départ en Allemagne ! Le voilà donc convoqué par l’Organisation Todt, celle qui a fait construire les blockhaus sur la côte. Chemin faisant, il croisa un type que nous reverrons, qui, lui, quittait Todt parce que, de la classe 42, il devait partir en Allemagne et qui lui fit une description apocalyptique des conditions de travail, pas idéales certes chez Todt et l’incita fortement à préférer l’Allemagne, ce qu’il fit, comme volontaire. C’est ainsi que notre grand Popaul immature se retrouva avec nous, ce qui lui a peut-être sauvé la vie. Il était puéril, enjoué, recevait des colis de farine pour bébés et pissait au lit avec une belle inconscience au point de vouloir, à l’occasion d’un départ, prendre le lit du haut !

Il a bien failli rester dans la terre saxonne. Atteint de tuberculose, il ne s’en serait pas tiré si Marcel et quelques autres –j’étais alors à Gifhorn- n’avaient cambriolé une pharmacie pour lui procurer un remède vital.

Deux autres Bordelais participèrent, épisodiquement, à notre groupe. Face à celui-ci, prolétaire et provincial, une coalition parisienne autour d’un étudiant de haut niveau (HEC ?) et de valeur, Jean, avec un autre Parisien beaucoup moins doué mais plus imbu et un Provincial, clerc de notaire, retord, malhonnête mais plein de verve et de bagout. C’était lui qui avait incité notre Popaul à s’engager !

Entre ces deux groupes, quelques personnalités flottantes : un véritable ouvrier parisien, Pierre, ajusteur, le vrai titi parisien, râleur comme il se doit, marié et père de famille, le seul du groupe ; Baptiste, un jardinier angevin, vrai paysan taciturne près de ses sous et sachant compter – par diverses manœuvres il était parvenu à se constituer un joli magot pour son retour au pays. Nous étions relativement bien payés et, surtout, nous n’avions aucune occasion de dépense, rien n’étant en vente libre dans le Reich.

On pouvait envoyer de l’argent en France mais en quantité limitée. Je l’ai fait, mais avec la conviction que cela nous serait confisqué au retour, ce qui n’a pas été. Baptiste et quelques autres ont envoyé de l’argent en utilisant le nom de certains qui, pour diverses raisons, n’utilisaient pas leur contingent. L’opération leur a profité. Moi, j’ai déposé quelques cinq cents Reich marks au retour,  soit 10 000 F de l’époque dont je n’ai jamais entendu parler.

Au nombre de ceux qui n’expédiaient pas d’argent on peut citer un malheureux : Youri, un jeune, dix-huit ans, Marseillais, paumé, sans famille. Il lui avait pris la fantaisie de s’engager dans la LVF (Légion des Volontaires Français contre le bolchévisme, mais, malgré le peu de volontaires on n’avait pas voulu le recevoir, c’est dire le niveau du type, un peu voyou sur les bords et surtout par nécessité). Il avait commis quelques larcins dans sa chambrée et on l’avait affecté à la 8/13 à titre de rééducation. Qu’en a-t-il tiré ? Au moins la conscience de son dénuement matériel et moral ! Pauvre type ! Nous avons su qu’à son retour il avait été condamné pour avoir voulu s’engager dans la LVF. Je ne pense pas que la prison ait pu l’améliorer et je pense à toutes les vraies fripouilles qui s’en sont tirées.

Un troisième groupe : deux Vendéens rustauds, commerçants à Clisson, ils s’étaient ralliés spontanément à un autre Vendéen séminariste, Hubert.

Le dit Hubert avait beau afficher des comportements des moins catholiques, il n’en restait pas moins le porteur de soutane devant qui on se plie. Il n’était, à vrai dire, que la triste illustration du recrutement de l’Église dans les milieux pauvres. Sans ce séjour forcé en Allemagne, Hubert serait probablement devenu un curé parmi d’autres, sans foi, vicieux, car il l’était, à vrai dire, il l’était.

Préoccupé par la façon de s’en sortir, il y parviendra quelques années après notre retour et j’aurai la surprise de le retrouver, marié, dans un camp GCU, mais à ce moment il n’était, ne serait-ce que devant ses ouailles, qu’un curé assez sectaire.

On entrevoit les sources de conflits, Parisiens/Provinciaux (et ils ne se prenaient pas pour rien, les Parisiens !), bourgeois/prolétaires, laïques/bigots, pétainistes/gaullistes, compliquées, si nécessaire par la hiérarchie quasi-militaire de la JOFTA qui attribuait les grades un peu au hasard : chef de chantier, d’atelier, responsable, avec des petits bouts de ruban, des étoiles.

Il faut voir ce que la présence d’un petit bout de ruban sur la manche peut entraîner dans la conduite d’un individu qui se sent investi plus que d’une tâche, d’un pouvoir pour y soumettre les autres ! Et celui qui envie le galon d’un autre ?  Arbitraire et rébellion ! Tout cela pour un pouvoir illusoire !

Il  fallut plusieurs semaines pour arriver à établir une paix interne. J’y gagnais un galon de responsable que je ne sollicitais pas et malgré ou peut-être à cause de quelques reproches « de ne pas en faire assez » cela stabilisa la situation.

Les colis

Cela n’empêcha pas les discussions internes ni les controverses, comme si nous n’avions pas assez d’ennuis mais c’était une façon de les oublier. Fort heureusement, et même aux pires moments, tout cela resta verbal et traversé de bons moments de camaraderie et de solidarité. Solidarité alimentaire autour de ceux qui recevaient des colis et dont je faisais partie. Malgré mes propos rassurants sur la nourriture, maman, dans son exaltation habituelle, s’était donnée comme mission de me nourrir à distance. La liste des colis et de leur contenu était impressionnante. Si elle avait eu conscience, mais je ne lui ai jamais dit, du nombre de bocaux arrivés cassés avec leur contenu pourri, du partage que je faisais avec mes camarades, elle serait tombée malade !

Et pourtant, le partage allait de soi. Il se traduisait par les popotes communes du dimanche car ce jour là nous n’étions pas nourris par l’usine qui, en dehors des repas à consommer sur place, nous fournissait du pain, du saucisson –que l’on disait « de chien »-, des carrés de margarine, du sucre, des cigarettes et aussi des tickets qui permettaient, dans les cantines du camp, de se procurer du pain blanc pou des gâteaux. On pouvait aussi, dans ces cantines, consommer un « stamm, un plat de légumes arrosé de bière, bière que nous achetions par brocs pour nos repas collectifs, une bière brune « dunkel », assez légère, que nous ajoutions au vin et au cognac des colis.

« La bouffe »

La bouffe tenait une grande place dans nos propos, sous forme de récits de repas de naguère, de recettes de cuisines plus ou moins mirifiques. Le problème ne devint sérieux qu’après le succès du débarquement de Juin 1944 qui nous priva de colis et aggrava les restrictions générales. À mon retour en France, je ne dépassais guère les cinquante kilos pour un mètre quatre-vingt !

Mais il n’y avait pas que la bouffe. Il fallait assumer le quotidien : toilette, lavage et entretien des vêtements facilités par les installations collectives dont j’ai parlé mais qui n’ont pas empêché quelques trempages de se prolonger jusqu’à la limite de la décomposition. Nous pouvions obtenir de menus travaux d’aiguille des babouchkas qui faisaient le ménage dans les chambrées.

Le temps libre

Il y avait aussi la vie intellectuelle et artistique. J’ai beaucoup lu, y compris dans les journaux de la collaboration, les seuls que nous recevions. J’ai ainsi lu dans « je suis partout », le «voyageur imprudent » de Barjavel en feuilleton.

Nous allions au cinéma où j’ai vu « Münchhausen » et des films parlant allemand.

J’ai aussi participé à un groupe qui faisait une chorale, dans le style assez répandu à l’époque, des Compagnons de la chanson en y joignant, pour les besoins du spectacle, du théâtre. Nous avons donné plusieurs représentations dans une très vaste salle de spectacle (deux mille places) qui s ‘élevait au milieu de la ville des baraques. 

Voyage à Berlin

Un de ces spectacles nous  valut d’être sélectionnés en vue d’un concours qui devait se tenir au « Kristal Palace », une grande salle de spectacle de Berlin, la troupe lauréate devant par la suite tourner pour donner des spectacles devant les travailleurs étrangers. Il nous fallut, pour cette sélection, faire un voyage à Berlin. Nous partîmes de KDF un matin, très tôt, roulant dans le froid et le brouillard. Le car à gazogène se traînait péniblement sur l’autostrade en accusant tous les joints. Il n’y avait pas grand-chose à voir, sauf un accident dû au verglas et la silhouette d’un troupeau de cervidés autour d’un grand cerf hiératique. Le responsable du groupe avait reçu du ravitaillement : saucisson, margarine, lard fumé, mais ce c… avait oublié le pain ! Manger de la margarine pure, quel régal ! Affamés, à demi endormis, nous atteignîmes Berlin après des heures de route toujours dans le brouillard. Il nous fallut alors répéter et re-répéter notre spectacle devant un aréopage de personnalités dont un grand enthousiaste qui, par touches successives, germanisa notre spectacle : « Ein, zwei ! ». Nous repartîmes crevés, dans la nuit qui tombait, sans avoir eu autre chose qu’un aperçu de Berlin. Nous roulâmes quelques temps avant d’être bloqués par une alerte qui nous immobilisa sous un pont. Bruits d’avions, de bombes, de DCA. La terre tremblait. Le ciel s’illumina d’éclairs. Cela dura un bon moment avant que nous nous risquions à repartir dans une accalmie relative. Berlin venait de connaître son premier gros bombardement. Le Kristal Palace était en ruine ainsi que nos espoirs de promotion en troupe itinérante et nous n’avons donné notre spectacle à l’extérieur qu’une seule fois, c’était dans la ville voisine de Braunsweig (Brunswick).

Voyage à Brunswick

Brunswick, c’était la ville, car si KDF à côté de ses camps de baraques exhibait quelques bâtiments en dur, style HLM, de part et d’autre d’avenues trop larges, sans magasins et sans vie, cela n’avait rien d’urbain malgré la présence d’une banlieue résidentielle où les cadres vivaient dans de belles villas disséminées dans les bois. Les villages, Fallersleben et Rhotenfeld Wolfsburg n’étaient que des villages ruraux. Nous sommes allés à Brunswick un samedi après-midi pour y trouver une vraie ville autour d’un quartier ancien pittoresque avec ses maisons anciennes peintes de couleurs vives. Il n’y avait pas grand chose à y faire : du lèche vitrines garnies d’objets factices ou vendus avec tickets, manger un stamm ou un sandwich en forme de petit pain rond garni de petit poisson au vinaigre, boire une bière, faire un carton dans un tir forain où j’ai bien failli perdre un œil atteint par le ricochet d’une balle, traîner nos guêtres dans une foule qui nous considérait avec sympathie au point de nous offrir des cigarettes ; terroriser, bien involontairement, un couple de commerçants âgés impressionnés par nos bérets noirs –les schwarze mütze étant très mal vus dans ce pays.

Trois images encore :

-       un défilé de la Jeunesse hitlérienne, bannières au vent, tambours, fifres et trompettes avec en queue de défilé des mômes de six ans ou moins en uniforme !

-       Au buffet de la gare, un officier de haut rang accompagne un général. Il nous aborde : « Vous êtes français ? » Questions, réponses qu’il transmet à son général en version adaptée, je suppose. Il vivait en France, marié à une Française. Son fils, français, était prisonnier en Allemagne. Il arrivait du front de l’Est et nous déclara : « ils sont foutus ! » en parlant de ses compatriotes. Il avait beaucoup voyagé et ne manquait pas d’arguments mais nous étions perplexes, intérieurement ravis mais cependant réservés.

-       Dans le train du retour nous rencontrâmes une bande de lycéens qui rentraient chez eux. L’un d’eux s’appliqua : « Non timeamus Anglici » en latin, « nous ne craignons pas les Anglais », par imitation d’un vers de l’Enéide. J’enchaînai dans la même langue : « mais nous craignons leurs bombes ! ».

Cette balade en ville, vers octobre 1943, nous apporta comme un ballon d’oxygène en rompant avec la monotonie de KDF, mais, en dehors du spectacle dont j’ai parlé, elle fut sans lendemain. Une autre visite, alors que nous avions pris nos billets et nous apprêtions à monter dans le train, fut annulée par deux schupos qui nous refoulèrent sans explications.

On peut conclure que mon séjour en Allemagne ne fut guère touristique puisque, en dehors des épisodes ci-dessus, il se limita à des promenades à pied autour du camp dans de belles forêts ou, à la fin, dans et autour de la petite ville de Gifhorn. Pourtant, il n’y a pas lieu de regretter ne pas avoir connu certains déplacements, comme celui d’Hubert qui a fini la guerre dans l’enfer, si ce mot a un sens, de Berlin.

Libéré par les Américains

Moi, j’ai fini ma guerre à Gifhorn, petite ville tout à fait paisible, plus précisément dans un petit camp de quelques baraques, dans les bois, à deux kilomètres du centre ville. Il n’y avait plus de travail à l’usine. Les avions passaient sans cesse, mitraillant, bombardant. On entendait, sans rien voir, le canon de tous côtés, jusqu’au moment où un train de munitions a été attaqué non loin d’où nous étions. Il y eut alors des explosions qui se succédèrent toute la nuit masquant tout autre bruit. Le calme revînt au matin pour nous permettre d’entendre une rumeur : « les Américains ! ». Nous formâmes un cortège précédé d’un drapeau tricolore improvisé, Des armes se braquèrent sur nous et nous avançâmes vers la masse sombre des blindés et de leurs accompagnateurs. Ils étaient placides, crasseux, mal rasés. Ils accueillirent nos transports calmement. Nous expliquâmes que nous étions des travailleurs déportés forcés. Question : « vous gagnez combien de l’heure ? ». Un agent de liaison parlant français nous donna les consignes : « ne bougez pas, réglez vos comptes dans les quarante-huit heures, avant l’installation des autorités ». Les Polonais en profitèrent pour faire fusiller un schupo qui les avait persécutés. Nos nous contentâmes d’aller piller tout ce qui avait été déserté par les autorités. Nous ramenâmes un peu de ravitaillement et un stock de savon. Avec un prisonnier de guerre alsacien, nous le chargeâmes dans une petite charrette et allâmes le troquer dans une cité voisine contre du schnaps. Nous reçûmes un accueil enthousiaste. C’était une ambiance de fête chez les Allemands aussi. Ils arboraient quantité de drapeaux blancs dont certains, d’ailleurs, étaient des draps.

Le dernier mois

La période qui suivit, un mois environ, fut tout à fait délirante. Ce n’est pas rien de passer de la servitude à la liberté absolue. Certains Allemands n’y avaient rien compris, tel Golterman, qui se présenta à la baraque des Russes pour y relancer Maria et qui repartit sous les huées, ou encore notre « lagh fuhr » -chef de camp- qui prétendit continuer à nous diriger !

La bouffe s’était améliorée par des prélèvements sur les récoltes ou cheptels du voisinage. Je me souviens d’une malheureuse vache qui, faute d’un tueur expérimenté, resta longtemps debout au milieu d’une clairière à perdre son sang par saccades. L’armée américaine réquisitionnait pour nous un peu au hasard : on nous amena un jour une gazinière superbe mais nous n’avions pas le gaz.

Épisode dramatique : Les Russes avaient trouvé un wagon citerne d’essence pour avion, baptisée par eux « Spiritus ». Ils en ont amené des seaux entiers, consommée avec de l’eau et du sucre et pas modérément. Cela a fait des tas de morts parmi eux et on en a vu agoniser pendant des heures sous le soleil (il faisait très beau), d’autres sont devenus aveugles et ont été évacués vers on ne sait quel hôpital. Des copains que l’on avait côtoyés pendant des mois ! Pas chiches, ils étaient venus nous en proposer un plein seau pour notre consommation. La seule odeur nous en avait dissuadés.

J’ai eu l’occasion d’un retour à KDF sur une bicyclette « empruntée » pour essayer d’y revoir les copains. Les camps n’étaient qu’une vaste kermesse. Je suis arrivé à temps pour participer au pillage d’un local qui était plein de jumelles. Je revins à Gifhorn avec quatre paires dont trois me suivirent en France. La petite ville de Gifhorn n’était pas en reste. Les GI improvisaient des étals où ils proposaient des « souvenirs » : insignes, emblèmes, poignards nazis ou même accessoires de théâtre !

Spectacle incroyable dans la rue principale où grouillait une foule joyeuse. Un silence se fit soudain. Au beau milieu de la rue s’avançait un officier allemand, genre seigneur de la guerre, plastronnant dans son uniforme impeccable, mitraillette sur le ventre. Il était précédé d’un civil qui portait un drapeau blanc et suivi d’un chariot genre alsacien tiré par deux prisonniers russes effarés et squelettiques encadrés par deux bidasses allemands pas du tout rassurés. Il avançait plein de morgue, au milieu d’une foule goguenarde mais prudente. Des Russes interpellèrent leurs compatriotes qui ne comprenaient rien à la situation. C’est tout juste si l’un d’entre eux se détacha de son chariot pour attraper une cigarette mais il y retourna vite fait. Je n’ai pas vu la fin de l’épisode mais on m’a dit que les Américains avaient assez rapidement dégonflé la baudruche.

Notre camp avait reçu peu de jours avant un petit groupe de prisonniers français qui nous avaient passablement écœurés. Bien en chair, chargés de provisions, ils avaient fui devant les Russes et avaient quitté leurs planques, leurs ménages mixtes avec des femmes allemandes qui avaient fait d’eux des commerçants, des fermiers confortablement installés. Ils râlaient contre tout et n’avaient qu’une idée, rentrer en France pour divorcer et retourner vers leurs foyers germaniques. Obéissant à je ne sais quelle logique, ils se sont engagés comme auxiliaires dans l’armée américaine et m’ont tracassé pour que je les suive comme interprète. J’ai peut-être eu tort, mais je n’étais pas assez convaincu de mon bagage linguistique et tellement désireux de rentrer en France !

Le retour en France

Retourner à la maison, c’était notre plus cher désir. Nous avons d’abord tenté, vainement, de faire démarrer un gros camion qui semblait abandonné. Plus tard, nous avons été embarqués dans un camion militaire qui nous a laissés à quelques kilomètres de là et nous avons du retourner au camp que nous avons retrouvé pillé !

Un autre convoi nous mena à KDF où nous eûmes du mal à nous loger. Après une nuit passée à nourrir les punaises, une journée de queue nous conduisit dans un convoi ferré disparate. Le hasard me fit échouer dans un wagon couvert mais où je ne connaissais personne. Le voyage dura, dura, avec des tas d’arrêts.

Je garde le souvenir de la traversée interminable d’Hanovre qui nous paru ruinée à cent pour cent. On n’y voyait que des façades vides et, en bas, des tas de pierres soigneusement alignées, des trains de prisonniers et dans la plaine, avant le Rhin, une succession de camps de prisonniers, de simples barbelés autour d’une foule à perte de vue. Nous avons passé le Rhin sur un pont réduit à sa plus simple expression, deux rails au-dessus de l’eau. Puis ce fut la Hollande, pimpante comme si la guerre n’y était pas passée, la Belgique, traversée par une nuit fantastique illuminée d’un gigantesque feu d’artifice de balles traçantes. C’était le cinq mai et l’Allemagne venait de capituler. Enfin, la France, à Maubeuge. Centre de tri, pulvérisation au DTT, formalités, reprise de nos marks pour des francs français, distribution de cartes d’alimentation, apport de nourriture, de vêtements de quoi équiper un épouvantail.

Descente sur Paris, puis sur Bordeaux, dans un omnibus aux arrêts innombrables où l’on nous accueille avec des sandwiches, du pinard et en nous demandant s’il n’y a pas, dans le convoi, des femmes « à tondre », non sans se vanter d’exploits de ce genre accomplis sur un précédent train ! Nous étions choqués. Des Françaises, nous en avions vu en Allemagne qui n’étaient pas forcément des prix de vertu mais ni plus ni moins que certains Français. C’est ainsi que nous avions livré aux autorités à Maubeuge notre traître, notre collabo : Joseph, interprète et plus ou moins mouchard, mais collabo à coup sûr. Nous avons appris un peu après qu’il était devenu commissaire de police dans une ville du centre de la France, mais pas tondu !

Changement de train à Angoulême, Cognac n’est pas loin. La famille, que j’ai avertie par téléphone SNCF m’attendait sur le quai. En voyant le chef de gare porter ma valise, la foule, qui me prenait pour une personnalité, applaudit, car il y avait une foule importante qui attendait ses rapatriés.

Maman était mince comme un fil, toute excitée, elle exulta en m’apprenant avant tout qu’elle était au Parti Communiste, ce qui me laissa perplexe. Je dus apprendre, en plus de la présence de grand-mère à la maison, les fiançailles de Ginette avec un employé de la gare, Maurice, un ancien condisciple du collège de Saintes, plus un tas de choses. Mais j’étais crevé et je tombais de sommeil.

Bilan et réflexions personnels

Une page était tournée. Parti en Juillet 1943, revenu en Mai 1945, j’avais passé vingt-deux mois hors de la maison avec la chance de revenir presque intact en dehors d’un accident qui avait failli me priver de l’index gauche. C’était un jour où je maniais un tourne-à-gauche de filetage quand un choc terrible me fit sortir de mon demi-sommeil. Je vis avec horreur mon index gauche réduit en bouillie au niveau de la phalange. On voyait l’os et ça saignait abondamment. Je courus à l’infirmerie où, sans anesthésie, on me fit plusieurs points de suture dans la chair à vif. Je m’évanouis mais remis, m’en allais assez guilleret muni d’un congé de maladie qui allait me mettre au vert pour un bon moment. C’était, bien involontairement, « la bonne blessure » que certains n’hésitaient pas à se faire volontairement parfois en mettant, à force d’infections entretenues à la pâte à souder, leur vie en danger.

La blessure étant acquise, je ne m’en tirais pas trop mal au point de me faire qualifier d’un grade dans le TAC (tireur au cul) : lieutenant ! Bien loin du meilleur, qualifié tout simplement d’Empereur, classification due à un certain Jean-Charles qui devait, plus tard, se faire une certaine réputation dans une série de « Cancre ». Il était planqué dans un vague rôle de vaguemestre pas épuisant. Cela eut mis fin à une carrière de violoniste, mais tant d’autres ne s’en sont pas tiré ! Dont mon cousin, Roger Malbate, tué lors d’un bombardement à Hambourg, pendant que son jeune frère Jacky disparaissait dans le maquis du Vercors.

D’autres atteintes moins visibles furent plus handicapantes. C’est ainsi que je fus pendant de longs mois, incapable de fixer mon attention sur un texte, des années à paniquer au fond de moi-même aux bruits sourds du tonnerre. Ma conception du monde fut aussi bouleversée par cette approche du monde ouvrier et industriel, si différent de mon environnement de fonctionnaires et de ruraux.

La dictature me fut révélée non sous la forme d’une marionnette tyrannique évoluant au sommet mais bien plus concrètement sous l’aspect protéiforme d’une multitude de chefs, sous-chefs, petits chefs sévissant à tous les niveaux. J’ai écrit quelque part que la moindre « paire de bottes » se donnait le droit de nous commander, de disposer de nous.

Je dois aussi faire état d’une profonde désillusion. Nous avions quitté le pays avec, sinon les applaudissements, du moins les encouragements du public, du genre : « Il vaut mieux que ce soit vous que moi ! ». Un pays avachi ! Et voilà qu‘au retour, nous trouvions, sinon de la réprobation, du moins une certaine condescendance, teintée de suffisance, de la part de « résistants » chantant eux-mêmes ou en chœur, pour plus de vraisemblance, leurs exploits ! Je les avais connus froussards au point de ne pas prononcer le mot « chleuh » sans auparavant jeter un regard circulaire et voilà qu’ils avaient délivré la France ! Pire, le commissaire de police qui traquait si bien les réfractaires, c’est qu’il cachait bien son jeu de chef des résistants ! Bref, le pays était en proie au culte de ses héros et de ses martyrs. Le Parti Communiste était le parti des « cent mille fusillés » ! Il parlait haut et fort en menant des intrigues équivoques en manipulant des gogos comme ma pauvre mère qui fonçait tête baissée dans tous les panneaux.

On parlait peu des Juifs qui depuis, ont fait en sorte qu’ils semblent avoir été les seules victimes de la guerre et de ses injustices.

Il y a plusieurs raisons à cela. La première, c’est que les Juifs, nous les ignorions, non par mépris, mais parce qu’ils étaient rares et discrets dans nos milieux. De temps en temps, on disait d’une personne : « c’est un Juif ! » mais de la même façon que nous disions « c’est un protestant ». Les campagnes nationales contre les Juifs –affaire Stavisky – semblaient plus tournées contre les escrocs que contre une catégorie particulière et raciale. À l’école, on parlait des races blanche, jaune, noire et rouge, mais pas de race juive. Je n’ai vu que trois étoiles jaunes, j’en ai parlé, en 1941, devant le lycée Montaigne. Plus tard, alors que nous étions en terrasse au Pey Bar, une fille est apparue au balcon d’un immeuble en face. Certains ont reconnu une Juive, interdite de sortie à cette heure et un du groupe a lancé « Chuif, chuif » mais il est resté seul.

Autre raison, c’est que s’il y a eu 75 000 Juifs français déportés, il y avait, dans le même temps 2 millions de prisonniers, 700 000 STO, 65 000 déportés politiques, résistants ou trafiquants et qu’il y a eu 30 000 fusillés et 400 000 victimes civiles de la guerre, surtout par bombardements. L’horreur peut être proportionnelle aux quantités !

Il faut aussi concevoir qu’au sein d’un cataclysme aussi énorme, chacun se replie sur soi, sur les siens et ses propres malheurs, car, comme dans la fable, ils n’en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. La disette, la maladie, la crainte des polices, des bombardements, les angoisses du lendemain, n’épargnaient personne.

La troisième raison, c’est que, même en Allemagne, nous ignorions tout des exterminations massives des populations. L’usine comportait pourtant un secteur secret où l’on fabriquait des V1, mais c’est rarement et fugitivement que nous avions aperçu « les politiques » qui y travaillaient avec leurs pyjamas rayés et ce n’est que cette année (1998) que j’ai appris que c’étaient des Juifs. Et nous l’aurait-on dit que nous ne l’aurions pas cru car cette information nous serait parvenue au milieu de tant d’autres, des bobards ou des bouteillons, comme on disait, diffusés à partir de « Radio Abort » -radio chiottes-, colportés dans toutes les langues et rarement crédibles mais cependant utiles car aidant à supporter l’insupportable.

Très rétrospectivement, j’ai pris conscience d’avoir trouvé dans cet exil des conditions bien meilleures que beaucoup d’autres victimes des circonstances.

 

Jacques Rouillon

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