les barrages
Dès 1956, le commandement français comprit que pour vaincre la rébellion en Algérie, il fallait stopper les renforts venus de l'extérieur.
Pour bloquer les accès maritimes, les patrouilles navales faisaient l'affaire. Aux confins du Sahara, des colonnes méharistes ou motorisées suffisaient aussi à la tâche. Dans les deux cas, une surveillance radars et avions parfaisait l'étanchéité. Tandis que l'armée de l'air interdisait pratiquement tout ravitaillement aérien de la rébellion. Mais comment verrouiller les longues frontières terrestres qui séparent l'Algérie de la Tunisie à l'est et du Maroc à l'ouest?
Les généraux français s'inspirèrent alors du général italien Graziani chargé en 1931 d'étouffer la révolte des Senoussis en Libye et firent construire la Ligne Morice à partir de juillet 1957 et qui sera doublée par la Ligne Challe en 1959.
Deux lignes barbelées, minées, électrifiées et surveillées en permanence, pour les maquis FLN/ALN, c'était la mort par asphyxie...
Les frontières algériennes de l'Est avec la Tunisie et de l'Ouest avec le Maroc furent l'objet d'un verrouillage par l'armée coloniale qui avait procédé à l'installation de barrages minés. Les mines antipersonnel utilisées étaient les mines à pression antipersonnel indétectables de type APID 51 (mines encrier) et mines antipersonnel métalliques bondissantes de type APMB-51/55 détectables.
La densité des mines sur les lignes de la frontière Est comme de la frontière Ouest variait de 0,8 à 3,5 mines par mètre linéaire.
Frontière Ouest:
Les deux lignes ( Morice 1958) et (Challe 1959) s'étendaient sur une longueur de 700 Kms de Marsat Ben M'hidi à Bechar, en passant par les localités d'El-Aricha, Ain Sefra, Djenien Bourezg et Beni Ounif.
Le Tableau suivant fait ressortir les quantités de mines antipersonnel aux frontières Est et Ouest par type et par quantité.
Localisation |
Type |
Quantité |
Longueur en Km |
Superficie en hectares |
Frontière Est algérien |
À pression APID 51 |
996 100 |
145 |
3 036 |
|
Bondissantes APMB-51/5 |
227 680 |
|
|
Frontière ouest algérien |
À pression APID 51 |
1 498 000 |
904 |
2 640 |
|
Bondissantes APMB 51/5 |
342 400 |
|
|
Total |
|
3 064 180 |
1 049 |
5 676 |
Source : forum d'Ain Séfra
Le point de vue du FLN
En 1957, un gros millier d'armes entraient chaque mois en Algérie, à destination des wilayas de l'intérieur. Ce chiffre tomba à 400 l'année suivante, puis à 200. En 1960, une fois les barrages achevés, il ne passait que 60 armes par mois! Car pour passer les barrages, dorénavant, les djounouds devaient couper la ligne électrifiée, traverser le lacis de fils barbelés en creusant dans le sol lorsqu'il n'était pas couvert de mines antipersonnel. En sang, les vêtements lacérés, il leur fallait ensuite courir sous une pluie d'obus, se jeter à plat ventre pour échapper aux balles mitraillées par les blindés. Parcourir plusieurs kilomètres en une demi-heure pour s'éloigner du barrage avant d'être encerclés par les forces françaises qui se déployaient. S'arrêter, se cacher, lorsque les bombes éclairantes larguées par avion changeaient la nuit en jour durant cinq longues minutes. Les rares qui en réchappaient gagnaient la frontière, après plus de seize heures de course.
Dans un rapport les forces armée françaises comptaient 4000 rebelles exterminés, 600 prisonniers et 2350 armes saisies. Le barrage devint alors synonyme de terreur pour les djounouds.
Par la faute d'une sous-évaluation des risques et des dangers des dispositifs français, au niveau politique comme au niveau militaire, les lignes Challe et Morice entraînèrent de graves dissensions internes aux FLN/ALN, à l'intérieur comme à l'extérieur.
Alors qu'Ouamrane lançait un cri d'alarme, Krim Belkacem -Chef du département de la Guerre- ne prenait pas au sérieux les barrages qui étaient en cours d'édification en 1957.
Au Maroc, les dirigeants de la wilaya 5, qui en 1956 avaient fait arracher les premiers barbelés établis par l'armée française, s'attendaient à ce que la nouvelle ligne soit similaire à la première. Ils ne savaient pas qu'elle allait présenter un grand danger au moyen de l'électricité, des explosifs et de fils de fer barbelés. Ils avaient laissé volontairement l'armée française établir cette ligne afin d'empêcher la population frontalière d'émigrer au Maroc. Pour que l'armée de libération ne manque pas d'approvisionnement, de liaisons et de protection (en Algérie). Le commandement n'avait pas prévu que la zone frontalière allait être zone interdite et que la population serait concentrée dans des endroits étroitement surveillés....
Même si le FLN tenta une multitude de manœuvres politiques (de façade), en déclarant par exemple les zones qui s'étendaient des barrages barbelés aux frontières tunisiennes et marocaines, des zones libérées, il dut faire face à de sérieux problèmes de défaillance interne...
Des tensions furent enregistrées entre GPRA/EMG stationné en Tunisie d'un côté et les chefs des wilaya de l'intérieur de l'autre, qui du 06 au 12 décembre 1958 tinrent une Réunion inter-wilayas du côté de Collo, au nord-est de Constantine, où il était question d'expliquer la situation aux "responsables embourgeoisés de Tunis et du Caire" qui devaient être le "prolongement de l'intérieur à l'extérieur", et où Amirouche, qui se révélait le plus décidé des chefs de wilaya, demanda « des comptes au GPRA pour son attentisme, son incurie, son incapacité à résoudre le problème du franchissement du barrage français à la frontière algéro-tunisienne [...] L'intérieur se trouve délaissé, livré à ses propres moyens. Le GPRA pas plus que l'état-major général - qu'il soit de l'Est ou de l'Ouest - ne nous envoie d'armes ni de munitions. Le barrage devient pour nous infranchissable. Et eux, avec leur armée des frontières, ne font rien pour le franchir et nous ravitailler ».
On vit même des Katibas ALN se rendre en bloc à l'ennemi comme le fut le cas d'Ali Hambli, avec ses 150 djounouds, qui se rallia au 3e Régiment de Hussards en mars 1959. Il accusa les responsables politiques de vivre dans le luxe alors que les forceurs de barrage enduraient les pires souffrances.
Ou encore, à court d'armes, de munitions et d'argent en 1960, des chefs maquis désemparés entamèrent même des négociations avec les Français mettant ainsi le GPRA hors-jeu. On pense à l'affaire "Si Saleh" où des messages échangés entre le chef de l'Algérois et son chef d'état-major relataient la détresse et le dégoût que subissaient les wilayas de l'intérieur « vous ne foutez rien, disaient-ils. Vous vous prélassez à l'extérieur. Mais méfiez-vous. Les maquis sont las et écœurés. De Gaulle propose la paix des braves, l'égalité complète pour tous. Nous, c'est ce que nous demandons. L'égalité, c'est le but auquel depuis toujours nous aspirons. Si vous ne nous fournissez pas les moyens de faire la guerre nous accepterons cette proposition. On ne peut rien demander d'autre».
Face à cette situation tragique, le 24 août 1958, Krim prescrivait de « mettre tous les moyens pour attaquer les frontières ». En novembre 1958, il ordonna une attaque massive des barrages, qui se réduisit à l'est à des tirs de mortier, tandis qu'à l'ouest, 1400 hommes dont 800 mousseblines lançaient une attaque généralisée entre Sidi Aissa et la mer, en février 1959, franchissement réussi pour près de 350 hommes.
En novembre et décembre 1959, les opérations Didouche et Amirouche successivement lancées par Krim Belkacem confirmaient l'imperméabilité des barrages. Sur les 2500 soldats d'élite engagés, 800 atteignirent le barrage et 15 le franchirent.
Sous la supervision de Boumediene deux « actions généralisées » furent entreprises dans le but de faire traverser quelques petits paquets d'hommes et de matériel à travers les lignes Morice et Challe. La première opération eut lieu entre le 13 mars et 31 mars 1960. Et la seconde entre 15 juillet et 31 juillet 1960.
Aucune des deux opérations ne se solda par des résultats satisfaisants. Dans l'opération de Mars l'ALN perdit une quarantaine d'hommes et seuls quelques individus réussirent à entrer en Algérie. Les pertes furent lourdes pendant l'opération de juillet (environ 300 hommes perdus), et pas un seul rebelle ne réussit à franchir le barrage arrière (Ligne Challe).
Entre le 1er décembre 1957 et le 28 février 1958, le FLN en Tunisie reçut de ses fournisseurs étrangers 18 388 armes, dont environ 2700 passèrent la frontière tunisienne vers l'Algérie. Durant la même période les forces françaises dans le Constantinois récupérèrent quelques 1300 armes. 1400 armes seulement arrivèrent donc à destination.