les soeurs Claret : Suzanne et Aimée

Respects et nostalgie

« Je suis sûre que lorsque la roulotte a été emportée, la semaine dernière, bon nombre d’habitants ont eu, comme moi,  la larme à l’œil. » explique madame Jouve, la buraliste de Rompsay au journaliste de Sud Ouest qui l’interviewe.  Nous sommes en  1985. La municipalité vient de faire enlever du trottoir de Rompsay, la « roulotte » qui l’encombrait depuis des années et qui faisait néanmoins la fierté de toute la commune. Enlèvement mais non destruction, le véhicule étant soigneusement entreposé en vue de sa conservation. Personne ici, n’aurait d’ailleurs admis qu’il puisse en aller autrement.

Cette roulotte, rangée sur le trottoir au ras de la chaussée, c’était une petite maison sur roues, gaie et pimpante, ouvrant aux petits et aux grands la porte des rêves d’espace, de spectacle et d’art. Ses propriétaires étaient célèbres bien au-delà du landerneau communal : les sœurs Claret, Suzanne et Aimée, vivaient là depuis des décennies, dans la plus grande discrétion, parfois en butte à une adversité brutale comme sous l’Occupation, grâce aussi à la sollicitude et à l’affection des habitants.

Sans eau, sans électricité, sans sanitaires, leur foyer demeurait pourtant d’une propreté méticuleuse.

Enfants de la balle

L’aînée, Nina, Bernardine Suzanne, était née le 8 mars 1902 à Crest, dans la Drôme ; la cadette, Aimée Louise, à Lyon, le 23 septembre 1903. Leur mère, Virginie Claret était artiste lyrique et romancière, et elle-même fille d’un marchand ambulant, tandis qu’elles étaient déclarées officiellement « de père inconnu ». Celui qui les avait élevées, Bernard Louis Taran, cependant, était propriétaire d’un théâtre de Guignol et de la fameuse roulotte dont les deux sœurs héritèrent à la mort de leurs parents, vraisemblablement dans les années 1937, 1938.

Artistes nomades

Les deux sœurs ont alors continué les  voyages familiaux le long de la côte atlantique, du Pays Basque à la Bretagne, vivant de projections cinématographiques réalisées grâce à une lampe à acétylène. Port d’attache, Rompsay, leur embarcation prit l’eau devant le succès du cinéma parlant. Elles tentèrent d’abord de commenter leurs films mais elles ne purent renflouer suffisamment l’esquif.

 Elles se tournèrent alors vers le métier de leur mère et proposèrent des représentations de marionnettes.

Arriva la guerre et l’Occupation et elles durent, pour échapper à la déportation (voir "le camp des Alliers"), cacher provisoirement leur itinérance dans la cour d’un domicile fixe , mais, aussitôt libérées du racisme nazi, elles reprirent leur errance artistique et  leur mode de vie nomade.

Finalement, leur santé les obligeant à s’arrêter, début 1974,  c’est bien sûr à Rompsay qu’elles se fixèrent, sur le trottoir de la rue des écoles, où tous les anciens Rochelais se souviennent d’elles et de leur roulotte avec nostalgie. Bien sûr, les maires successifs leur firent des propositions de relogement mais elles refusèrent toujours, non par fierté, d’après ceux qui les connaissaient, mais « pour ne pas  déranger ». Dans les dernières années, même, on leur procura l’eau et l’électricité.

Suzanne s’éteignit la première, le 8 octobre 1984 et Aimée ne lui survécut qu’une année et mourut le 12 septembre 1985.

Témoignages

 « Les sœurs Claret se chauffaient à l’aide d’un poêle. Elles vidaient les cendres le long du mur. Elles avaient de grands vélos avec des roues beaucoup plus grandes que celles des vélos actuels. Au début, elles faisaient des spectacles de marionnettes, par la suite elles ne faisaient plus que des représentations de Guignol. Elles portaient de grandes robes et de grands tabliers de bohémiennes. Dans la roulotte il y avait énormément de couleurs or et argent. » (Catherine Blanchard). 

« Je me souviens que c’est Aimée qui faisait les courses. Suzanne faisait la vaisselle et le ménage. Elles ne sortaient pas souvent. Elles faisaient des voyages jusqu’aux Sables d’Olonne. Je connaissais surtout Aimée. C’est elle qui dirigeait. J’ai un peu connu leur père. Il était tout petit. Elles ont vécu  10 ans sans faire de spectacle. Il y avait beaucoup de fleurs dans la roulotte. Les meubles étaient petits et elles dormaient au fond de la roulotte. Elles sont restées vingt ans à Rompsay. Avant elles vivaient à Bourgneuf avec leurs parents. » (Denise Brunet).

« Elles avaient un chat noir avec un petit grelot rouge en laisse dehors. L’été elles faisaient la vaisselle sous un auvent et mangeaient dehors. Elles buvaient du thé ou du café dans une théière en argent. Il y avait un gros camion gris devant la roulotte qui leur appartenait. Elles avaient de longs cheveux gris et portaient des tresses ou des chignons. L’une d’entre elles avait de très longues boucles d’oreilles. Lorsque nos sortions de l’école elles nous faisaient toujours coucou par la fenêtre de la roulotte. Elles portaient de grands châles en laine et brodaient comme leur mère. Lorsqu’elles se déplaçaient en camion, le chat était devant. Il y avait un fil à linge dehors et toujours plein de fleurs. Elles lavaient leur linge dans une bassine et le frottaient à l’aide d’une brosse. » (Annie Blanchard).

« Ce qui m’a marqué lorsque j’étais tout petit, c’est que tous les matins, elles partaient sur leurs vélos et allaient vider leur pot de chambre dans le canal. Elles étaient très gentilles et faisaient des représentations dans toutes les écoles. Jacques Labrit.

"J'étais inquiète : tous les matins, je regardais à ma fenêtre pour voir si Aimée était bien là." (Madame Bernard.)

Elles avaient marqué durablement leurs contemporains puisqu’en 2008, une pièce de théâtre fut écrite et jouée par les « amuse gueules » pour évoquer leur souvenir.

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